18 février 1964, La France évite au Gabon une prise de la « M’BAstille » !

Dans la nuit du 17 au 18 février 1964, le Gabon est le théâtre d’une mutinerie fomentée par des militaires. Le Président Léon M’ba est capturé, aucun coup de feu n’est tiré, pour les rebelles le putsch est réussi. Cependant, la France ne l’entend pas de cette oreille et va envoyer son armée pour remettre le président déchu sur son trône.

Léon M’ba, Président du Gabon depuis l’indépendance de 1960, est l’exemple type du dirigeant africain à la solde de la France, ceux qu’on appelle les « gouverneurs noirs » pour montrer que rien n’a changé malgré les indépendances. D’ailleurs, il n’a jamais digéré l’indépendance de son pays, lui, voulait que le Gabon devienne un département français. Pour montrer l’ampleur de son attachement à la France, il y a cette anecdote selon laquelle il a voulu doter son pays du drapeau tricolore avec comme seule différence, un dessin représentant l’okoumé, l’arbre national gabonais. Mais Foccart a refusé cette requête ! D’ailleurs, ce dernier sera son mentor. Il faut savoir que M’ba a une personnalité très particulière, à la limite de la gaminerie. C’est un homme très capricieux, capable de piquer des grosses colères au moindre refus. Paris se doit de le supporter, voire plus, le soutenir. Car le Gabon est doté de richesses naturelles. Dans ce pays de 900 000 habitants, c’est le bois qui attire la convoitise de la France avant que la société Elf ne découvre plus tard d’énormes gisements de pétrole.

« Opération reconquête »

Dans la nuit 17 au 18 février 1964, une centaine de militaire s’emparent de Léon M’ba et le traînent à la télévision nationale pour qu’il annonce lui-même sa destitution. Le Coup d’Etat est dirigé par le chef de l’opposition Jean-Hilaire Aubame. Pour les putschistes, cette opération est une réussite, aucun coup feu n’a été tiré. Aussitôt, l’Elysée envoie un contingent de militaires basés en Centrafrique alors qu’un avion rempli de paras a décollé de Dakar. Il est hors de question de perdre le Gabon. La manière forte est envisagée alors que De Gaulle aurait parlé de « reconquête »… Mission : chasser les rebelles et remettre Léon M’ba au pouvoir ! Une scène cocasse se produit lors des affrontements entre l’armée française et les mutins gabonais. Un des officiers français reconnaît parmi ses adversaires un ancien ami et camarade de promotion à Saint-Cyr. Le Français lui demande de se rendre sous peine d’être abattu. Ce que refuse son homologue gabonais qu’il lui explique qu’en intervenant de cette manière, la France humilie le Gabon. Le Français réplique : « Je t’ai en ligne de mire. Si tu ne te rends pas, je vais être obligé de te tuer ! » Et le Gabonais lui répond dignement : « Je préfère la mort à la honte ! ». L’officier français s’exécute et tue son camarade de promotion. Bilan de l’opération : une quinzaine de Gabonais et deux Français sont tués.

La machine Foccart dans ses plus belles œuvres

Léon M’ba est retrouvé dans son village natal, il récupère son pouvoir et revient au palais présidentiel. Suite à cet épisode, Foccart décide de prendre des mesures fortes pour éviter toute nouvelle mutinerie. Tout d’abord, il nomme un nouvel ambassadeur, un certain Maurice Delauney. C’est un fin connaisseur de l’Afrique. Il a été nommé sur les conseils de M’ba. Ensuite, il décide de créer une garde présidentielle. Il nomme alors Robert « Bob » Maloubier, un ancien des services secrets français durant la Seconde Guerre mondiale, chef de la sécurité du président. Il se débrouille pour recruter des colosses, s’équiper en armes et faire de son équipe une unité d’élite. Et enfin, pour se mettre en conformité avec le droit international, la France signera des accords de coopération militaire avec ses anciennes colonies. Les accords initiaux de défense, prévoyaient l’intervention de la France qu’en cas d’agression extérieure et non de Coup d’Etat. Dorénavant, elle interviendra pour protéger les Chefs d’Etat de son « pré-carré ». Toutefois, un autre problème surgit. Léon M’ba tombe gravement malade, il faut donc lui trouver un successeur. Durant le putsch, ils ont repéré un jeune homme qui a fait preuve d’un sang-froid impressionnant. Cet homme est très jeune, il n’a même pas trente ans, des tests s’imposent pour s’assurer qu’il a les épaules assez larges pour une telle responsabilité. Le jury sera composé d’une seule personne et pas n’importe qui : le Général De Gaulle ! Dans les locaux de l’Elysée, le jeune homme passe l’examen avec succès. Il devient donc le successeur désigné de Léon M’ba. Cependant, il y a un denier obstacle. Pour que la procédure soit légitime, il faut changer la constitution. Foccart trouve la parade : il crée un poste de vice-président qui prendrait automatiquement la place de Léon M’ba en cas de décès. Ce dernier rechigne mais devant l’insistance du responsable de la cellule Afrique de l’Elysée, il finit par plier et signe la réforme de la constitution sur son lit d’hôpital !

Le 27 novembre 1967, Léon M’ba meurt des suites de son cancer. Comme le prévoit la toute nouvelle constitution, son vice-président lui succède : un certain Albert-Bernard Bongo…

Kalidou SY

Sources : Les dessous de la Françafrique, Monsieur X Patrick Pesnot, Broché

Françafrique, Patrick Benquet, Compagnie des Phares et Balises

Foccart, l’homme qui dirigeait l’Afrique, Cedric Tourbe

Affaire Ben Barka : le couple franco-marocain fête ses noces d’or

Mehdi Ben Barka jouant avec son fils Bachir en 1953/ Album familial

Mehdi Ben Barka jouant avec son fils Bachir en 1953/ Album familial

Cinquante ans après la disparition du leader socialiste marocain, le dossier d’instruction est toujours ouvert. Cet assassinat politique mêlant les services secrets des deux pays va vite devenir « l’affaire Ben Barka » ou l’illustration de ce qu’on appelle la Raison d’Etat.

En ce jour du 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, opposant du Roi Hassan II a rendez-vous à la brasserie Lipp situé au Boulevard Saint-Germain à Paris. Ce rendez-vous, prévu de longue date, doit porter sur un projet de film documentaire consacré à la décolonisation. Peu avant le rendez-vous, il est interpellé par deux policiers qui le font monter dans leur voiture. Mehdi Ben Barka ne sera plus revu.
Cinquante ans après, si son enlèvement ne fait plus aucun doute, une chape de plomb règne sur les circonstances de sa mort. Son fils, Bachir Ben Barka préfère nommer ce silence autrement « On l’appelle la raison d’État avec « Etats » au pluriel. On retrouve principalement l’État marocain, l’État français, mais aussi Israël et les États-Unis » Explique-t-il. Cette thèse d’un assassinat est confirmée par Joseph Tual, journaliste qui enquête sur cette affaire depuis plus de vingt ans. Pour lui, le royaume Marocain en est le principal responsable, même si Hassan II a pu consulter, voir informer les puissances étrangères (USA, Israël) de l’hypothèse d’éliminer un opposant devenu de plus en plus gênant «Toutes les divagations de services secrets autres que celui de la Monarchie marocaine, n’ont jamais été validés par l’instruction actuelle. » « explique-t-il.

Un leader aux côtés de Che Guevara et Fidel Castro

Pourquoi autant de services secrets se seraient coalisés pour éliminer un simple opposant politique ? Parce-que Mehdi Ben Barka était bien plus que ça. Il incarnait l’anti-impérialisme, les droits de l’homme, la lutte pour l’intérêt des peuples. Professeur de mathématiques, il a même lutté avec le souverain Mohamed V pour l’indépendance du royaume Chérifien. Une relation de confiance régnait entre les deux personnages. Mais lorsque Hassan II arriva au pouvoir en 1961, une cassure s’est établie avec Ben Barka, qui deviendra ensuite un farouche opposant du Roi. Son fils Bachir, qui avait quinze ans moment de l’enlèvement, se souvient « Mon père est devenu la cible principale des services sécuritaires marocains. Il a échappé à plusieurs tentatives d’assassinats et a été condamné mort à deux reprises. » Dit-il. Durant cette période, se mettait en place une solidarité entre les peuples des trois continents du Sud ; l’Afrique, l’Asie, et l’Amérique latine, pour pouvoir faire face aux changements intervenus après les indépendances. L’opposant marocain présidait le comité préparatoire de la Conférence Tricontinentale (qui a eu lieu à La Havane après sa mort).
La mise en place de ce projet l’a amené à côtoyer des leaders du Tiers-monde tels que : Che Guevara, Mehdi Ben Bella, Fidel Castro encore Hô-Chi-Minh. Outre le fait qu’il soit le principal opposant au Roi Hassan II, c’est surtout sa dimension internationale qui dérangeait « Il aurait tôt ou tard pris le pouvoir au Maroc et fait entendre cette troisième voix dans ce monde bipolaire de l’époque. » explique Joseph Tual.
Si l’enlèvement de Mehdi Ben Barka ne fait plus aucun doute, les questions concernant circonstances exactes de son assassinat restent à éluder. Et pour cause, son corps n’a jamais été retrouvé. Et là encore, les versions divergent. L’hypothèse du corps de la victime dissous dans l’acide sulfurique a été évoquée. Mais pour le journaliste, auteur du documentaire Ben Barka, l’obsession, cette version est fausse car le coupable est connu « Il a été étranglé par George Boucheseiche (truand français de l’époque). » Dit-il.

De nombreux français impliqués

Quid de la complicité de l’État français ? La France est mise en cause car elle aurait apporté une aide logistique au Maroc dans l’enlèvement de Ben Barka. Plusieurs français sont impliqués dans l’affaire : les deux policiers qui l’ont interpellé non loin de la brasserie Lipp étaient français, l’appartement de Georges Boucheseiche (truand dont on ignore s’il travaillait pour le compte de la France) situé à Fontenay-le-Vicomte, a probablement été le lieu de l’assassinat et enfin Antoine Lopez, chef d’escale à Orly était un informateur du SDECE (services secrets français).
Côté marocain, Mohamed Oufkir et Ahmed Dlimi, respectivement Ministre de l’intérieur et chef de la police, étaient en France le jour de l’enlèvement. Simple coïncidence ? L’avenir nous dira que non. Et pour cause, Georges Figon révèle, dans un article publié par l’hebdomadaire L‘Express du 10 janvier 1966 et intitulé « J’ai vu tuer Ben Barka », l’implication des deux hommes. Le scandale est révélé. Mais pour Joseph Tual, ce ne sont que des affabulations « l’article de l’Express écrit Jean-François Kahn est un bidonnage sur ordre Marocain de A à Z. » révèle-t-il. D’ailleurs Georges Figon démentira plus tard avoir donné cette interview aux deux journalistes…
Quels que soient les commanditaires de cet assassinat pour la famille Ben Barka il reste un ultime combat à mener : obtenir la déclassification des documents secrets défense par l’Etat français « C’est grave pour un pays de droit comme la France de refuser à une famille et à l’opinion publique la vérité. Malheureusement ce ne serait pas la première fois que des services secrets français soient impliqués dans un assassinat… » Il ajoute non sans émotion « D’autres familles qui ont été dans le même cas que nous ont pu faire leur deuil. Nous, nous ne pouvons pas le faire. Il n’y a même pas de cadavre pour se recueillir… »

Les personnages-clés de l’affaire

  • Georges Boucheseiche : Célèbre truand ayant participé a des braquages de banques, il fut souvent utilisé par le SDECE pour des missions secrètes. C’est dans sa maison de Fontenay-le-Vicomte, en région parisienne, que Ben Barka aurait été assassiné. Lors du procès de l’affaire en 1967, il fut condamné a perpétuité. Il serait décédé au Maroc en 1972.
  •  Georges Figon : le personnage le plus mystérieux de l’affaire. C’est lui qui attira le leader marocain à Paris en faisant avec le prétexte du documentaire sur la décolonisation si cher à ses yeux. En janvier 1966, L’Express titre en Une « J’ai vu tuer Ben Barka » s’appuyant sur de longues révélations de Georges Figon. Plus tard, il démentira avoir donné une interview au journal. Il est retrouvé mort dans son appartement le 11 janvier 1966. Selon l’enquête de la police, il se serait suicidé.
  • Antoine Lopez : Chef d’escale à l’aéroport d’Orly, son rôle dans l’enlèvement est trouble. La seule certitude est sa proximité avec le SDECE. D’ailleurs il conduisait la voiture qui a conduit Ben Barka au domicile de Boucheseiche.
  • Mohamed Oufkir et Ahmed Dlimi : respectivement Ministre de l’intérieur et chef de la police du Royaume Chérifien, leur participation à l’assassinat de l’opposant marocain ne fait plus aucun doute. Mais des deux personnages, c’est Oufkir qui a joué le plus grand rôle. Cet ancien officier de l’armée française avait des liens étroits avec le SDECE. Une fois sa mission accomplie, il a pu repartir au Maroc avec son compère Dlimi sans blocage des autorités françaises. De Gaulle qui, au départ, ignorait tout de cet assassinat, a lancé un mandat d’arrêt international, en février 1966 contre Oufkir, une fois la vérité révélée au grand jour. Il meurt en 1972, probablement exécuté après une tentative ratée de coup d’état contre Hassan II. Son compère Dlimi, mourut quand a lui, dans un mystérieux accident de voiture en 1983

Kalidou SY

La France : terre d’accueil des génocidaires Rwandais.

Photo de Pascal Simbikangwa prise par Interpol
(source: AFP)

Alors que la première condamnation lié au génocide des Tutsi du Rwanda a été ordonnée par la cours d’assises de Paris, plusieurs interrogations subsistent sur le sort des présumés coupables du génocide. Plusieurs de ces protagonistes vivent en France en toute impunité. Combien sont-ils ? Quand sont-ils arrivés ? Les autorités françaises étaient-elles au courant de leur présence ? Quel rôle ont joué les associations dans leur traque ? Grace aux témoignages d’Alain Gauthier et de Maitre Foreman, des réponses ont pu être apportées.

Pascal Simbikangwa. Cet homme pourrait être un symbole, dans la « traque » des présumés complices de génocide des Tutsi au Rwanda qui a fait entre 800 000 et 1 million de victimes en 1994. En effet, le 14 mars dernier, il a été condamné à 25 ans de réclusion pour génocide et crimes de guerre. D’autres procès pourraient suivre, car de nombreux présumés complices de génocide vivent en France.

Combien sont-ils ?

Il est très difficile de recenser le nombre exact de génocidaires vivant sur le sol français. Cependant, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), une association crée en France en 2001 ayant pour but de poursuivre les présumés génocidaires vivant en France,  a déposé 26 plaintes visant ces personnes. Sur le site de l’association*, sont recensées toutes leurs actions en justice. Il est à constater que les accusés vivent dans tous les coins de la France : du Havre à Bordeaux en passant pour Toulouse et Annecy. Nous avons contacté un accusé vivant à Toulouse afin qu’il se défende, mais il n’a pas souhaité donner suite à notre sollicitation.

Depuis combien de temps vivent-ils en France ?

Il n’y a pas de date exacte qui permet de définir l’arrivée des génocidaires, c’est très aléatoire comme l’explique Alain Gauthier, Président du CPCR « Certains sont en France depuis pratiquement après le génocide (Aout 1994, ndlr). C’est le cas de Munyeshyaka qui est visé par une plainte depuis 1995 et il n’est toujours pas jugé. Concernant Pascal  Simbikangwa, nous l’avons retrouvé à Mayotte, dans les années 2006/2007. C’est très variable, certains arrivent encore en France aujourd‘hui ».  D’autres comme Agathe Habyarimana, veuve du Président Juvénal Habyarimana (décédé en avril 1994), ont été accueillis avec le tapis rouge par la France « Pendant longtemps, dans les 90, la France a pu être perçue comme une terre d’accueil pour les partisans de l’ancien clan Habyarimana. Sa femme Agathe a été exfiltrée vers la France » explique Maitre Foreman avocat du CPCR. Cette dernière aurait même accueillie en France avec un bouquet de fleurs offert par les autorités françaises et 200 000 Francs (environ 30 000 euros) pris sur le budget de la coopération**.

 

Les autorités françaises étaient-elles au courant de leur présence ?

Comme indiqué ci-dessus, dans le cas d’Agathe Habyarimana il est évident que la France était au courant de sa présence sur le sol français, et pour cause, elle fut très bien accueillie. En ce qui concerne Pascal Simbikangwa, Maitre Foreman explique « Il vivait sous un faux nom, sous une fausse identité. Il a été arrêté car il faisait du trafic de faux papier et c’est à ce moment-là que la police s’est aperçue qu’il avait un mandat Interpol ». S’agissant des autres personnes poursuivies par le CPCR, un doute subsiste « Globalement, je pense que dans un certains nombres de cas, la France était au courant du passé peu glorieux de ces personnes. Il est probable qu’il y a eu de la part des génocidaires un sentiment de sécurité s’ils venaient en France plutôt qu’au Congo, en Belgique ou au Canada » ajoute-il.

La France a-t-elle protégé délibérément des présumés complices de génocides ?

Sans preuves concrètes, il est difficile d’affirmer que l’Etat Français a abrité intentionnellement ces personnes-là. Maitre Foreman a un avis dessus « Je ne peux pas affirmer qu’elle l’a fait délibérément. Je peux constater qu’il n’y avait pas une volonté manifeste d’aller de l’avant et c’est très clair. Est-ce qu’il y avait des instructions pour les protéger ? Je n’ai pas d’éléments pour l’affirmer. » Il ajoute «Mais le fait que la France était au courant de la présence d’un certain nombre d’entre eux, ne les a pas poursuivis, a attendu que les associations se chargent des enquêtes, tout ça se sont des faits ». L’avocat du CPCR, ne veut pas porter de procès d’intention à la France, mais se pose des questions «Est-ce qu’il y a derrière tout ça des intentions ou une volonté de les protéger ou bien un peu de paresse intellectuelle et de se dire c’est compliqué, ça va couter cher, c’est à l’autre bout du monde et le Rwanda ne nous aidera pas donc ne nous embarquons pas dedans ? Je ne sais pas ». La prudence est de mise…

Quel rôle ont joué les associations dans leur « traque » ?

Les associations, et plus particulièrement le CPCR, ont joué un rôle primordial dans l’identification et l’arrestation des acteurs du génocide vivant en France. De là à dire que sans ces dernières la France n’aurait pas poursuivie les présumés complices de génocide il n’y a qu’un pas. Maitre Foreman explique «Le CPCR a déposé une vingtaine de plaintes, avant lui, d’autres ONG comme la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ou la Ligue des Droits de l’Homme en avaient déposé quelques-unes. Sans ces plaintes, il n’y aurait pas eu beaucoup d’action du parquet. Je pense qu’on peut le dire ». Attendre que des associations portent plainte pour poursuivre des présumés complices de génocides, la paresse a bon dos…

Le procès de Pascal Simbikangwa est un espoir dans la poursuite et condamnation des présumés coupables génocidaires vivants en France. Pendant longtemps existait un sentiment de protection vis-à-vis d’eux mais depuis le milieu des années 2000, les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda qui étaient jusque-là très froides, ont été rétablis par Bernard Kouchner (alors ministre des affaires étrangères) et Nicolas Sarkozy. Ce rapprochement a permis aux enquêteurs Français (juge d’instruction et gendarmes) de se rendre au Rwanda. En 2011, a été créé un pôle d’instruction sur les crimes de génocides au sein du tribunal de Paris avec des juges d’instructions et des procureurs spécialisés. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes travaillent sur cette affaire à plein temps. La passivité passée de la France n’est plus aujourd’hui.

Kalidou SY

*http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/

**Survie, La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2009

Ukraine

 

« Je ne sais pas à quoi m’attendre »

A 27 ans, Anatoliy est  capitaine de police à Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Après le soulèvement de Maïdan, le jeune Ukrainien suit avec attention les bouleversements qui agitent son pays. Témoignage.

Des manifestants pro-européens face à la police, à Kiev (Ukraine), près du Parlement ukrainien, le 3 décembre 2013 / Reuters

Des manifestants pro-européens face à la police, à Kiev (Ukraine), près du Parlement ukrainien, le 3 décembre 2013 / Reuters

Quel bilan tires-tu des récents événements en Ukraine ?

Certains pensent que le soulèvement de Maïdan a été subventionné par les pays occidentaux dans le seul but de tuer notre économie et de diviser notre pays. Je pense que le gouvernement et les militants ont fait des erreurs, et il est difficile de bien évaluer leur action. Ce que je peux dire, c’est que trop de victimes sont mortes pour rien. Du côté de la police, il y a aussi eu des erreurs, mais les médias n’en parlent pas. Ils ne parlent que des victimes d’extrémistes. « Les policiers sont mauvais, les militants sont bons, blablabla ». Je pense que nous devons espérer un meilleur avenir tout en restant prêts à affronter le pire.

Penses-tu que la fin de l’ère Ianoukovitch améliorera les choses ?

Le président Ianoukovitch aurait pu changer la situation il y a encore quelques jours. Mais maintenant, il est trop tard pour changer. Il ne nous reste plus qu’à attendre un nouveau président. Je suis policier, et je ne sais pas à quoi m’attendre demain, ni même aujourd’hui. Je viens de rentrer chez moi, et je pourrais être appelé d’une minute à l’autre pour reprendre le travail. Ici, à Kherson, des choses dangereuses ont commencé à se produire. Les militants viennent juste de renverser la statue de Lénine sur la place principale. Un monument qui n’avait pas été touché depuis tant d’années ! (« la mairie a décidé d’elle-même de démonter le monument de Lénine », rapporte l’agence Unian ) Dans la moitié du pays, ils détruisent des commissariats de police, surtout à l’ouest. C’est une période difficile.

Comment te sens-tu en Ukraine ?

Je me suis installé à Kherson, près de la Mer Noire, où j’aime prendre du repos. Mais aujourd’hui, si je pouvais, je m’en irais à l’étranger. C’est difficile de commencer une nouvelle vie, et c’est la raison majeure pour laquelle je suis encore là.Pourtant, ça serait pas mal si je pouvais changer mon salaire : 254 euros par mois aujourd’hui. C’est le revenu moyen ici, et je suis capitaine de police ( rémunéré autour de 3000 euros par mois en France).Pour dire vrai, j’ai commencé à apprendre l’anglais car je désirais m’en aller en mission de maintien de la paix à l’étranger, mais maintenant je doute un peu.

Propos recueillis par Ava MERGY

 

 

Ukraine

« Nous, les étrangers, étions victimes de certaines menaces »

Franck vit à Dnepropetrovsk, à l’est de l’Ukraine. Camerounais d’origine, le jeune homme de 22 ans cherche encore sa place dans ce pays qui vient de connaître une révolution historique. Récit.

Tourbillon politique en Ukraine/ Reuters

Tourbillon politique en Ukraine/ Reuters

Que penses-tu du soulèvement ukrainien ?

Je pense que le soulèvement proeuropéen est une bonne chose car la population ukrainienne souffre énormément du conservatisme russe. Les Ukrainiens ont besoin de s’ouvrir au monde extérieur, de se développer, d’améliorer leurs conditions de vie et cela ne peut se faire qu’en s’ouvrant à l’Europe. Ici, certains Ukrainiens l’ont compris, d’où l’avènement de ce soulèvement.

Quel bilan tires-tu des récents événements en Ukraine ?

Je dirais que ce bilan est plutôt emprunt de positivité car bien qu’ayant versé beaucoup de sang, les Ukrainiens sont en train d’atteindre leurs objectifs. Yulia Tymoshenko vient d’être libérée et a tenu un discours vraiment poignant, certains accords ont été signés avec le président etc. Je crois que ce que les Ukrainiens attendent maintenant est la démission du président et l’organisation des élections anticipées. Je pense que le futur président sera proeuropéen, et qu’il emmènera ce pays vers un avenir meilleur même si ce sera un début très difficile pour eux. Mais ces sacrifices sont nécessaires

As-tu ressenti autour de toi cette atmosphère de ras-le-bol, de violence parfois ?

Oui j ‘ai vécu cette violence. Nous, les étrangers, étions interdits de sortie de nos locaux par moment. Nous étions victimes de certaines menaces car certains disent que c’est à cause de nous, les étrangers, que les Ukrainiens ont ouvert les yeux sur l’extérieur. Or c’est faux. Il y a des voitures brûlées, des pillages… bref c’est affreux ici.

Qu’est-ce qui t’a particulièrement marqué ?

Ce qui m’a marqué, c’est la volonté et la détermination de ce peuple, qui sont étonnantes. Je voyais des jeunes prendre des bus en plein hiver pour aller soutenir les opposants a Kiev. Leur unité et cette fidélité à leur cause est à saluer. Dans les rues, ils disent qu’ils sont encore prêts à en faire plus si les choses ne changent pas. Et, grâce à Dieu, ils viennent de destituer le président (Viktor Ianoukovitch) qui tentait de se réfugier en Russie. Je crois que l’espoir naît dans leur cœur‏.

Ukraine

Pourquoi es-tu venu t’installer en Ukraine ?

Pour mes études. Mais j’ai été désagréablement surpris quand je suis arrivé à Dnepropetrovsk. Je pensais pouvoir étudier en anglais, mais ça n’est finalement pas le cas. Ici, les études pour les étrangers sont non seulement très coûteuses, mais c’est aussi en ukrainien. Or moi, j ‘ai appris le russe. C’est un peu comme si ta langue d’études était le français et l’on te demandait d’étudier en chinois. C’est vraiment du grand n’importe quoi. En plus, il n’y a pas de boulot pour les étudiants. Je n’ai pas de job, je vais juste en cours quelques fois pour mes études.

Que comptes-tu faire pour échapper à cette situation ?

Je pense que je vais encore supporter ça jusqu’en été, mais je compte venir en France d’ici peu. Malheureusement, c’est un peu difficile de sortir d’ici‏. Alors on cherche les opportunités… A Dnepropetrovsk, mon russe me sert, mais seulement dans la rue, dans la vie active. Mais je n’irai pas en Russie car c’est pire que l’Ukraine et le racisme, là-bas, est pire qu’ici. J’ai déjà fait une demande pour la France mais la réponse a été négative. Alors je réfléchis. Je suis en train d’écrire un livre sur ce que j’ai vu et vécu en Ukraine, parce que ce coin m’a trop marqué négativement. Et cela m’a aussi appris beaucoup de choses dans la vie.

Propos recueillis par Ava MERGY

Crise au Soudan du Sud: « Les USA responsables »

Michel Raimbaud

 

 

 

 

 

 

 

Depuis le 15 décembre dernier, le Soudan du Sud, est embourbé dans une guerre civile entre les troupes de son président et les miliciens de son ancien vice-président. Les combats ont déjà fait des milliers de morts et quelque 200 000 déplacés. Michel Raimbaud ancien ambassadeur de France au Soudan entre 1994 et 2000 et auteur du livre Le Soudan dans tous ses Etats  paru en 2012 (Editions Karthala) décrypte ce conflit.

 Que se passe-t-il au Soudan du Sud ?

Tout d’abord la partie sud n’est pas majoritairement chrétienne c’est une bêtise. Il y a une diversité religieuse, l’islam et le christianisme sont tous les deux minoritaires et il y a une majorité animiste c’est-à-dire de croyances traditionnelles africaines. Ensuite, il faut savoir qu’il y a deux grandes ethnies au Sud-Soudan : L’ethnie majoritaire, les Dinkas, représente environ un tiers de la population totale de ce pays de 9 millions d’habitants. L’autre ethnie, les Nuer, représente environ 2 millions de personnes. Salva Kiir, le président actuel est un Dinka alors que Riek Machar, son ex vice-président, un Nuer. Il y a un enjeu pétrolier avec une connotation religieuse et ethnique, mais tout ça est avant tout une affaire de pétrole. Riek Machar à l’indépendance de ce pays en 2011, est nommé vice-président du Sud Soudan. En juillet dernier, il fut limogé avec tout son gouvernement pour cause de désaccord avec Salva Kiir. C’est à la suite de cet évènement que nous sommes repartis sur une guerre. Il y a eu une tentative de processus de paix à Addis Abeba (Ethiopie) mais personne n’y est allé pour négocier. De plus, l’on voit revenir dans ce conflit Omar El-Béchir (Président du Soudan, ndlr) qui est venu porter secours à Salva Kiir contre Riek Machar.

Vous parlez du pétrole, joue-t-il un rôle clé dans ce conflit ?

En 1996, l’exploitation du pétrole est lancée, ce qui est un événement important pour comprendre la situation du Soudan et Sud-Soudan. Des gisements ont été découverts vingt ans plus tôt par des sociétés Américaines Total. En quelques années, le pays va devenir un producteur non négligeable avec environ 500 000 barils par jour. Dès lors, au début des années 2000, les Américains décident qu’il est temps de stabiliser le Sud-Soudan. Un processus de paix est engagé en 2002 sous l’égide de l’AIGD et des USA qui vont faire pression sur Khartoum et sur le gouvernement du Sud. Dans l’esprit des Américains, il s’agit de mettre un terme à la guerre et de parvenir à une sécession du pays.

Pour quelles raisons?

C’est pour eux un objectif majeur lié au pétrole, à son emplacement stratégique et à sa taille (plus grand pays africain et arabe en termes de superficie avec plus de 2,5 Km2). La menace du Nord (Omar El-Béchir, ndlr), persécuteur qui voudrait arabiser et islamiser le Sud, est utilisée pour provoquer la sécession du Sud. Je pense que c’est exagéré. Outre les USA,  Israël souhaite morceler le Soudan car c’est le plus grand état arabe d’Afrique. Le dossier du Darfour a été fabriqué dans cette optique.

Par « fabriquer », niez-vous l’existence du problème Darfour ?

Je suis catégorique en 2003 le dossier du Darfour politiquement et diplomatiquement n’existe pas ! Il n’y a pas de guerre au Darfour ni de conflits. Ce dossier sort du néant. C’est un mensonge médiatique. Il y eu une médiatisation exagérée de ce dossier entre 2003 et 2007. On a voulu en faire un conflit ethnique entre les Arabes et les Africains c’est idiot, ça ne tient pas debout : ce qui soutiennent cette thèse sont les gens qui n’ont jamais mis les pieds au Darfour.

Kalidou SY

Centrafrique

« N’attendez pas que la situation du Rwanda refasse surface ! »

Prosper Nodjigoto-torou est un étudiant chrétien de 29 ans de l’université de Bangui (capitale de la Centrafrique). La fac étant fermée, son quotidien se résume à observer les affrontements entre différentes milices armées. Témoignage.

Les jeunes Centrafricains au cœur du conflit / Crédit photo : rtl.fr

As-tu été témoin de scènes de massacres à Bangui?

J’ai été témoin d’une scène d’assassinat avant-hier (ndlr le 10 décembre). Il était 22h, les jeunes de mon quartier ont constitué un groupe d’autodéfense. Tout à coup, ils ont croisé un autre groupe à majorité musulmane et ils se sont affrontés.

Il y a eu des victimes?

Oui, un mort et trois blessés.

Peut-on parler de conflit religieux?

Les autorités religieuses s’abstiennent de dire que c’est un conflit religieux, mais je le dis.

Selon toi, ce conflit qui est qualifié de religieux, provient- t-il de l’arrivée de Michel Djotodjia au pouvoir?

L’arrivée de la Seleka en est à l’origine, c’est un groupe à majorité musulmane.

Les musulmans et chrétiens ne peuvent pas cohabiter en paix?

Pour le moment, la cohabitation est difficile voire impossible.

Quel message souhaites-tu apporter à l’opinion ?

Un message à la communauté internationale, il est temps d’agir n’attendez pas que la situation du Rwanda refasse surface !